En cette nuit particulière, Delphine avait décidé de goûter la fraîcheur de la soirée. L'ambiance presque surnaturelle la faisait vibrer. Elle avait toujours aimé laisser ses pas la conduire lorsque le soleil était couché. Pourtant, elle évitait généralement de sortir à la pleine lune. Pas qu'elle ait peur de faire une mauvaise rencontre, non, elle ne craignait pas les loups-garous ou autres créatures de la nuit. Si elle ne sortait que rarement ces fois-là, c'est parce qu'elle n'appréciait pas les nuits trop lumineuses. Elle préférait les nuits sombres, et ce soir, c'en était clairement une.
Enveloppée dans une cape de couleur grenat, les bras croisés sur sa poitrine, elle flânait plus qu'elle ne marchait sans véritablement se soucier des éventuels autres passants.
Une petite fille accompagnée d'un chat noir, au bord d'une rivière. Un groupe d'enfants se tenant un peu plus loin, riant et jouant comme si elle n'existait pas. Le chef de la bande qui se rapproche d'elle et qui lui sourit d'un air malveillant. Deux mains qui la poussent. Une sensation de froid puis le besoin impérieux de respirer. La bouffée d'air salvatrice alors que la surface de l'eau est encore à deux mètres au-dessus d'elle. L'arrivée sur la berge. Les rires dont elle se fiche. Le chat, assis tout près d'elle qui la regarde d'un air étrange.
Ce jour-là, Delphine s'en souvenait comme si c'était hier. C'était la première fois qu'elle avait réalisé que les événements étranges autour d'elle n'étaient pas dus au hasard mais bien provoqués... par elle. Ce jour-là, elle avait eu la certitude que rien ne serait plus comme avant. Juste après être sortis de l'eau, elle n'avait même pas prêté attention aux rires des autres enfants. Habituellement, elle partait en courant pour qu'ils ne voient pas ses larmes. Cette fois-ci, elle s'était retournée vers le garçon qui l'avait poussée et avait senti la colère flamber à travers tout son corps. Juste après, le garçon avait étangement basculé en arrière, l'eau avait alors accueilli son deuxième hôte de la journée. Ce dernier n'avait jamais refait surface.
La petite fille de huit ans avait eu une paix royale depuis cet incident. Elle savait désormais qu'elle avait provoqué la mort d'un petit garçon et était certaine que si d'autres tentaient de l'ennuyer, ils écoperaient du même sort.
La nécromancienne prit soudainement conscience de ses pensées. Cinq ans qu'elle n'y avait plus songé, alors qu'autrefois, elle était presque hantée par le visage d'Antoine, qui avait malheureusement péri 'en trébuchant malencontreusement au bord de l'eau'. C'est toutefois ce qui en avait été conclu. Pourquoi aujourd'hui, pourquoi ce soir?
Puis ses yeux se posèrent sur une silhouette. Quelqu'un était assis sur le trottoir. En prêtant un peu plus attention à la forme, elle constata que la personne tenait une baguette à la main. Delphine continua d'avancer et soudain, elle entendit la forme la supplier. L'adolescente avait relevé la tête et la nécromancienne put alors voir l'état ravagé dans lequel était le visage de son interlocutrice. La jeune fille avait un air répugnant, mais ce n'est pas ce qui interrogea le plus Delphine. Cette dernière ne croyait pas au hasard. Selon elle, il y avait toujours une raison à tout. Et le fait qu'elle ait repensé à son enfance juste avant la troublait d'autant plus. Son souvenir était-il un signe, un indice sur la conduite qu'elle devait tenir? Elle décida alors avant de prendre la moindre décision qu'elle devait en apprendre plus sur ce qui était arrivé à l'enfant.
"Avant tout, explique-moi ce qu'il s'est passé. Pourquoi t'a-t-on défiguré de la sorte?"
Dit-elle d'une voix qui ne laissait pas filtrer la plus petite émotion.